La pratique, qui consiste à formuler des instructions à l’IA plutôt que d’écrire le code soi-même, gagne du terrain ces dernières semaines. Une révolution pour certains, une hérésie pour d’autres.
Ces dernières semaines, le nouveau trend qui agite le berceau de l’innovation technologique tient en une phrase : dicter des instructions en langage naturel à un LLM (Large Language Model) qui se chargera de pondre des lignes de code jusqu’à accoucher d’un programme fonctionnel. Le tout, sans comprendre ce qui se trame sous le capot, en s’appuyant sur son intuition plutôt que sur les règles communément acceptées de la programmation. Cette pratique, baptisée vibe coding – que l’on pourrait traduire par « coder à l’instinct », faute d’un véritable équivalent en français – « gagne en popularité dans le milieu de la tech », observait le média spécialisé Ars Technica en février. Révolution, ou simple buzzword de plus ?
L’art de « dire des trucs, lancer des trucs et copier-coller des trucs »
Pour retracer l’origine du concept, qui possède déjà sa propre page Wikipédia, il faut remonter au 3 février 2025. Ce jour-là, dans un tweet partagé sur son compte personnel, Andrej Karpathy, membre fondateur de l’équipe de recherche d’OpenAI et ancien directeur de l’intelligence artificielle chez Tesla, y décrit une méthode que l’on qualifiera de « relax » pour développer ses « projets du dimanche ». En substance, elle consiste à formuler des instructions à l’oral à Cursor, un éditeur de code reposant sur les modèles Sonnet de Claude, pour qu’il crée intégralement une application ou un site web. Puis, le laisser corriger les bugs et accepter toutes ses suggestions, en « se laissant porter par les vibrations ». « Ce n’est pas vraiment du code », tempère-t-il. « Je vois des trucs, je dis des trucs, je lance des trucs et je copie-colle des trucs, et ça marche à peu près ». Deux ans plus tôt, en janvier 2023, il annonçait déjà la couleur en affirmant, toujours sur X, que l’anglais était devenu « le langage de programmation le plus tendance ».
Entre automatisation, intuition et perte de contrôle
Ce 3 février 2025, Andrej Kaparthy a ainsi dépeint une réalité qui se banalise : déléguer la conception d’un prototype à un LLM, quitte à ne plus maîtriser son architecture. Entre paresse assumée et exploration créative, l’approche a gagné du terrain dans les cercles d’initiés, portée par une nouvelle génération d’outils pensés « AI first », dont Bolt, Lovable, Replit ou Cursor sont les plus illustres représentants. Des plateformes qui, à la différence des pionniers comme GitHub Copilot, conçus comme des assistants et requérant des compétences, placent l’intelligence artificielle au cœur du processus de création. Ce qui leur permet de faire une promesse : offrir à chacun la possibilité de créer un programme tout à fait correct et fonctionnel, à condition de savoir exprimer clairement ses intentions et de manier l’art du prompt. Autrement dit, le vibe coding se distingue assez clairement d’une utilisation de l’IA générative en tant qu’assistant, même si la confusion est fréquente. « Si un LLM a écrit chaque ligne de ton code, mais que tu l’as relu, testé et compris de bout en bout, pour moi, ce n’est pas du vibe coding — c’est juste utiliser un LLM comme assistant », confirme un développeur interrogé par Ars Technica.
Il n’empêche que, sur le papier, le principe – qui suscite au départ le même émerveillement qu’une première utilisation de ChatGPT – à de quoi séduire. Et c’est sans doute pour cela qu’il a rapidement « gagné en traction », comme on dit dans le milieu. Bien aidé, aussi, par la médiatisation de projets assez bluffants, comme ce simulateur de vol développé, paraît-il, avec Cursor en 3 heures par le programmeur néerlandais Pieters Levels.
« Le vibe coding peut s’apparenter à de la sorcellerie »
Si l’on schématise, le fonctionnement de Bolt, Cursor ou Lovable est assez similaire : l’utilisateur décrit ce qu’il veut à l’aide d’un prompt, et l’outil se charge de générer l’architecture du programme, en choisissant les ressources ou les langages les plus adaptés. Ensuite, l’utilisateur peut affiner le résultat en saisissant d’autres requêtes, pour corriger des bugs ou éditer l’apparence ou le positionnement des éléments visuels, ou demander des explications dans un chat intégré. Selon la complexité du projet, le processus de génération peut prendre quelques minutes ou plusieurs heures. Une recette qui fait le succès des startups à l’origine de ces outils. Anysphere, l’entreprise derrière Cursor, est déjà valorisé à plus de 9 milliards de dollars, rapporte le Financial Times, tandis que le suédois Lovable, qui compte 500 000 utilisateurs selon TechCrunch, multiplie les levées de fonds ces derniers mois.
« Pour quelqu’un qui ne programme pas, le vibe coding peut s’apparenter à de la sorcellerie », observe Kevin Roose, reporter spécialiser dans les nouvelles technologies au New York Times. Le journaliste, qui s’est emparé de ces outils pour créer des programmes capables de dire si un meuble pouvait rentrer dans le coffre de sa voiture ou d’aider à la préparation du déjeuner de son fils, rappelle néanmoins que le vibe coding « gagne encore à être supervisé par des humains, ou du moins à ce qu’ils restent dans les parages. Et il reste probablement mieux adapté aux projets personnels qu’aux tâches critiques ».
Révolution en marche, ou promesse marketing creuse ?
Peut-on, à ce stade, évaluer l’ampleur que pourrait réellement prendre le vibe coding ? Ce serait présomptueux. Cela n’a pourtant pas empêché certaines figures de la tech californienne, toujours promptes à s’emballer quand une tendance peut faire gonfler leur portefeuille, de s’aventurer à quelques prédictions. Dans une vidéo sobrement intitulée « Vibe coding is the future », Garry Tan, PDG de l’accélérateur de startups Y Combinator, qui a notamment financé Airbnb ou Dropbox, affirmait sans détour : « Ce n’est pas une mode. Ça ne va pas disparaître. C’est la nouvelle façon de coder. Et si vous ne vous y mettez pas, vous risquez de rester sur le quai. »
Sur les forums ou les plateformes sociales, la pratique interroge ou divise, entre ceux qui y voient une révolution en marche et ceux qui la balayent d’un revers de main, la jugeant creuse ou trompeuse. « Le vibe coding, c’est essentiellement du marketing par les entreprises d’IA pour te faire payer 200 dollars par mois en te faisant croire que c’est génial », ironise un utilisateur de Reddit. « C’est comme acheter un kit pour construire une voiture de course, payer ton oncle bourré qui « s’y connaît un peu en course » pour le monter à ta place, puis dire à tous tes potes que c’est toi qui l’as construite », renchérit un autre.
Une pratique qui relance l’éternel débat sur la place des développeurs
Le vibe coding, qu’on l’ignore ou qu’on l’encense, n’a pas manqué de raviver un débat récurrent, qui traverse également d’autres secteurs – au hasard, le journalisme : celle de l’hypothétique déqualification des développeurs, notamment en début de carrière, dans un contexte où l’IA est déjà régulièrement exploitée pour générer du code, déboguer ou répondre à des questions techniques, comme le montrait une étude menée par Stack Overflow en 2024. S’il est possible de créer des fonctionnalités simples sans compétences techniques et avec un peu d’instinct, jusqu’où peut-on aller dans l’automatisation de la profession ? La question mérite probablement d’être posée. Mais si le risque est réel, il reste à nuancer dans un secteur où maintenir, optimiser et faire les bons choix techniques suppose avant tout de comprendre ce que l’on fait. Comme dans la plupart des professions que l’on a très vite cataloguées comme étant menacées par l’IA, cette expertise sera difficile à remplacer.
Plutôt qu’être vendu comme une révolution ou présenté comme l’avenir de la programmation, le vibe coding gagnerait à être perçu pour ce qu’il est, du moins en l’état : une manière d’explorer des pistes ou de créer des prototypes, parfois absurdes, en « demandant les trucs les plus idiots », comme le suggérait Andrej Kaparthy dans son tweet transformé en manifeste. Une manière d’ouvrir des portes, à la fois pour les néophytes et les spécialistes, à condition de savoir ce que l’on cherche.
Source : BDM