Les réseaux sociaux sont devenus dans nos pays, un miroir du quotidien.
Des pages Facebook aux comptes TikTok, des créateurs de contenu diffusent chaque jour des vidéos de personnes en détresse : malades, victimes d’accidents, couples en crise, familles sans ressources.
Souvent, ces publications se terminent par un appel à la solidarité : « Aidons-le à se soigner », « Elle a besoin de votre soutien », « Partagez pour qu’elle retrouve sa dignité ».
Si ces gestes traduisent une compassion réelle et sincère, ils posent aussi des questions fondamentales sur l’éthique et la responsabilité numérique dans nos sociétés africaines. Car entre solidarité et mise en scène de la souffrance, la frontière devient de plus en plus floue.
Une ère de solidarité numérique spontanée
L’Afrique, et particulièrement le Burkina Faso, a toujours été une terre de solidarité communautaire. Ce réflexe d’entraide trouve aujourd’hui une nouvelle expression à travers le digital.
Grâce à un simple smartphone, un influenceur peut mobiliser des milliers de personnes autour d’une cause.
Des cas concrets l’illustrent :
- Des internautes se sont organisés pour financer les soins d’un enfant atteint d’un cancer à Bobo-Dioulasso.
- Une jeune femme expulsée de sa maison a retrouvé un toit après une vidéo devenue virale sur TikTok.
- Pendant des périodes chaudes, plusieurs créateurs ont lancé des collectes réussies via WhatsApp et Facebook.
Ces initiatives montrent que les réseaux sociaux ont un potentiel extraordinaire de solidarité et d’impact social, dans un contexte où les systèmes d’aide publique restent limités.
« Les réseaux sociaux ont remplacé le mégaphone des ONG. Aujourd’hui, n’importe quel citoyen peut déclencher une chaîne d’entraide », explique un sociologue de l’Université Joseph Ki-Zerbo.
La dérive du “buzz humanitaire” : entre compassion et commerce
Mais ce pouvoir n’est pas sans dérive.
De plus en plus de créateurs exploitent la détresse d’autrui pour générer de la visibilité, des abonnés et des revenus.
Les plateformes comme TikTok, Facebook ou YouTube rémunèrent désormais les créateurs en fonction du nombre de vues. Certains n’hésitent donc plus à transformer des histoires tragiques en spectacles émotionnels.
Les titres parlent d’eux-mêmes :
“Regardez comment cette femme vit dans la misère totale !”
“Il a abandonné sa femme malade, voici sa réaction !”
Ces publications, montées avec des musiques tristes, des zooms larmoyants et des commentaires moralisateurs, deviennent rapidement virales. Mais au prix de la dignité de ceux qu’elles exposent.
L’algorithme récompense ce qui choque, touche ou émeut.
Les créateurs l’ont compris : la misère attire les clics, donc les revenus. Certains se présentent comme des « bienfaiteurs » ou « influenceurs humanitaires », mais leur motivation première reste la monétisation.
Pire encore, dans plusieurs cas documentés, les dons collectés n’arrivent jamais aux bénéficiaires.
L’éthique en question : filmer n’est pas aider
Le cœur du problème réside dans la violation du droit à la vie privée.
Filmer une personne vulnérable, malade ou en détresse sans son consentement constitue une atteinte grave à sa dignité. Dans une société où l’honneur et la pudeur ont une valeur culturelle forte, cette exposition publique peut être destructrice.
Face à cette tension entre solidarité et exploitation, il est urgent de redéfinir nos codes numériques selon nos valeurs africaines : respect, dignité, solidarité.
Les agences digitales et médias doivent initier des programmes d’éducation numérique sur l’éthique, la vérification de l’information et la protection des personnes vulnérables.
Les histoires d’aide peuvent être racontées autrement — sans montrer le visage, sans sensationnalisme.
Mettre l’accent sur les solutions, la résilience et les acteurs positifs, plutôt que sur la douleur brute.
Meta, TikTok et YouTube doivent aussi adapter leurs politiques pour empêcher la monétisation des contenus exploitant la détresse humaine.
Vers une solidarité numérique digne
Les réseaux sociaux sont un miroir de notre société : ils révèlent notre capacité à nous émouvoir, mais aussi notre tendance à confondre empathie et spectacle.
Le défi, aujourd’hui, est de transformer la compassion en action responsable.
L’Afrique, terre de solidarité ancestrale, doit être aussi celle d’une solidarité numérique éthique — où l’on tend la main sans pointer la caméra sur la douleur.
“Aider, ce n’est pas exposer.
L’humanité ne se mesure pas en vues, mais en respect.”
ZAGLA


