Sous le soleil du marché de Zabr’daaga , une symphonie de tournevis, de tourne-disques et de câbles s’entremêle au brouhaha des clients. Ici, pas de laboratoires dernier cri, ni de diplômes d’ingénierie affichés au mur. Pourtant, ces réparateurs et vendeurs d’“incassables” ces coques de téléphones ultra résistantes manipulent la technologie avec une dextérité qui force le respect. Ce sont les techniciens de la débrouille, les ingénieurs de la rue, qui incarnent à leur manière la révolution numérique burkinabè.
Des autodidactes au doigté d’ingénieur
À 28 ans, Abdoulaye démonte un smartphone dernier cri avec des gestes précis. Aucun manuel, aucun diplôme. Juste des années d’observation et de curiosité.
« J’ai commencé comme vendeur de coques et de chargeurs. Un jour, un client m’a laissé un téléphone à réparer… et j’ai réussi, » raconte-t-il, sourire fier.
«Depuis, je démonte, je remonte, j’apprends sur YouTube, sur les forums. Aujourd’hui, je répare tout, même les iPhone 14. »
Comme lui, des centaines de jeunes à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso ou Koudougou ont fait du savoir-faire technologique informel une véritable spécialité. Ils apprennent en observant, en échangeant entre pairs, en expérimentant. Leur laboratoire ? Le trottoir. Leur université ? Internet, les tutoriels et la débrouillardise.

L’économie des “incassables”: innovation populaire
Autour d’eux, les stands débordent de verres trempés, de batteries, de câbles et d’« incassables », ces coques anti-chocs vendues à la pelle. Ces produits, souvent importés, sont au cœur d’une micro-économie numérique dynamique.
«Je vends entre 50 et 80 incassables par jour,» confie Aïcha, 25 ans, installée à côté du rond-point de la Patte d’Oie.
«Je connais les modèles, les compatibilités, les séries. Quand un nouveau téléphone sort, je sais tout avant même les grandes boutiques.»
Ces vendeurs ont développé une culture technologique pratique : ils comprennent les caractéristiques des téléphones, les différences entre les marques, et savent même diagnostiquer certaines pannes mieux que des techniciens diplômés. Ils sont la preuve vivante que la maîtrise du numérique dépasse les murs des écoles.
Réparer pour exister : le génie de la récupération
À quelques mètres, dans une petite boutique faite de tôles, Souleymane, 32 ans, recolle les circuits d’un smartphone endommagé. Son établi est un mélange d’ordre et de chaos : fils dénudés, condensateurs, micro-composants, fer à souder artisanal.
«Quand tu n’as pas fait d’études, tu apprends avec les mains,» dit-il calmement.
«Je répare pour vivre. Mais au fond, je fais de la technologie : je comprends le courant, les cartes mères, la logique des appareils.»
Pour beaucoup comme lui, la réparation est une forme d’émancipation. Ces métiers informels offrent non seulement un revenu, mais aussi une reconnaissance sociale. Certains parviennent à former d’autres jeunes, créant des chaînes de transmission du savoir technologique local.
Une filière numérique parallèle et résiliente
Ce que ces acteurs incarnent, c’est la résilience du secteur informel face à la révolution numérique. Dans un pays où l’accès à la formation technique reste limité, ils comblent un vide et participent, sans le savoir, à la souveraineté technologique nationale.
Quelques chiffres :
- Le nombre de cartes SIM actives au Burkina Faso début 2025 : 28,1 millions, soit un taux de pénétration d’environ 118 % de la population. (Horonya finance)
- Dans la seule ville de Ouagadougou, on recense environ 92 ateliers de réparation de téléphones mobiles en date de mai 2025. (Rentech Digital)
- Le taux d’accès à Internet (toutes technologies) fin 2024 a été estimé à 83,41 % de la population. (Horonya finance)
«Ils représentent l’innovation populaire,» estime un enseignant en ingénierie électronique à l’Université.
«Leur maîtrise empirique de la technologie prouve que le génie ne vient pas toujours du diplôme, mais de la curiosité et de l’expérimentation.»
Les ONG et incubateurs doivent s’intéresser à ces personnes. Il faut des programmes pilotes pour former ces techniciens de la rue aux notions de cybersécurité, de gestion numérique et de commerce en ligne, pour les aider à formaliser leur activité.

Quand la technologie devient sociale
Derrière chaque téléphone réparé ou chaque incassable vendu, se cache une histoire de survie et d’adaptation technologique. Ces jeunes, souvent sans ressources, ont compris que le futur se jouerait dans le numérique et ils ont choisi d’en faire partie, à leur manière.
«Je ne suis pas ingénieur, mais je fais ce qu’un ingénieur fait,» lance Hamidou, en replaçant la vitre d’un Samsung Galaxy.
«La technologie, ce n’est pas le diplôme, c’est la pratique.»
Vers une reconnaissance du génie local
Ces vendeurs et réparateurs d’incassables sont plus qu’une curiosité urbaine : ils sont les artisans silencieux de la transition numérique burkinabè. Ils incarnent cette intelligence informelle, capable de transformer des déchets électroniques en outils fonctionnels, des erreurs en apprentissages, et des rêves en métiers. Leur existence questionne : et si la prochaine révolution technologique burkinabè venait de la rue ?
ZAGLA


