Les femmes sont moins nombreuses dans le domaine de l’intelligence artificielle que les hommes. Un « gender gap » qui n’est pas sans conséquence.
C’est un problème depuis des années. Les hommes sont plus nombreux que les femmes dans le numérique. C’est aussi le cas dans le domaine de l’intelligence artificielle. Elles ne représentent que 12% des chercheurs en intelligence artificielle et 6% des développeurs au niveau mondial, selon l’Unesco. Un problème qui a notamment été évoqué à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’IA à Paris.
« Les femmes ne peuvent pas s’offrir le luxe d’un nouveau « gender gap », a déclaré Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail, lors d’une conférence sur le sujet organisé par Simplon et à laquelle Tech&Co a assisté.
Cet organisme de formation travaille depuis plusieurs années avec Microsoft, notamment pour aider les femmes à se former au numérique. Alors qu’elles ne représentent que 24% des personnes employées dans ce secteur en France, ce chiffre s’élève à 35% dans les formations de Simplon et de Microsoft.
Ne pas exclure la moitié de la population
Depuis 2018, les deux associés proposent aussi des formations en intelligence artificielles, à travers 69 écoles, dans lesquelles les femmes représentent 27% des étudiants. « Mais, on voudrait évidemment aller plus loin », a affirmé Véronique Saubot, PDG de Simplon.
Parce que ce manque de femmes dans l’IA n’est pas sans conséquence. « Il faut des femmes en IA parce que la moitié des neurones de l’humanité sont dans des cerveaux de femmes. Donc, si on veut utiliser à plein potentiel tout ce qui est possible en termes d’innovation, de découverte, de créativité, il n’y a pas de raison d’exclure toute une moitié de la population », souligne Isabelle Ryl, directrice de l’Institut Prairie (Paris Artificial Intelligence Research Institute), auprès de Tech&Co.
Les hommes étant plus nombreux que les femmes dans ce secteur, ce sont eux qui créent la plupart des algorithmes d’IA. « Et, inconsciemment ou non, les hommes vont reproduire leurs biais », comme l’a souligné Hélène Deckx van Ruys, copilote du groupe femmes et IA au Laboratoire de l’égalité, auprès de l’AFP.
Ces systèmes vont ainsi reproduire des préjugés sexistes. Une IA génératrice d’images va par exemple faire largement apparaître des hommes pour des métiers comme pilote ou médecin, et des femmes pour des professions comme infirmier ou secrétaire.
« La raison pour laquelle elles font ça, c’est parce qu’elles ont été entraînées sur des données qui sont vraies historiquement. Il y a beaucoup plus de femmes infirmières que d’hommes infirmiers et il y a beaucoup plus d’hommes pilotes que de femmes infirmiers. Le problème, c’est que l’IA amplifie cela », indique Isabelle Ryl.
Stéréotypes
Dans le domaine de l’IA, les femmes sont moins nombreuses au travail, mais aussi dans les formations. Elles peuvent être découragées de s’orienter vers ce secteur à cause de stéréotypes liés à ces métiers. Des difficultés auxquelles Amel, qui suit une formation Simplon dans le cadre d’une réorientation professionnelle, a été confrontée.
Avant de s’orienter vers le numérique, elle voulait devenir commerciale dans l’automobile, étant passionnée par ce domaine. Suivant des formations dans cet objectif, elle s’est alors retrouvée dans « un monde d’hommes, où clairement, on ne se sent pas à sa place ».
« La passion et l’envie de travailler dans un domaine ne suffisent pas toujours quand on entre dans un monde avec beaucoup d’hommes, ce que je confirme encore plus avec mon entrée dans le monde numérique et plus précisément de l’informatique », avance Amel auprès de Tech&Co.
« Il y a beaucoup d’idées reçues sur ce métier. On imagine un peu le stéréotype du geek, etc., alors qu’en fait, pas du tout. Quand on n’entre pas dans cette case du mec geek qui joue aux jeux vidéo du matin au soir, on n’est pas trop pris au sérieux en tant que femme. Même la manière dont on nous parle quand on nous apprend les choses, on voit que quand on est une femme, on nous parle un peu différemment, avec un ton comme si on nous prenait par la main », relate cette dernière.
Sensibiliser dès l’école primaire
Si les filles sont peu nombreuses dans les formations d’IA, elles sont plus enclines à se former en IA lorsqu’il s’agit d’une double licence, relève Isabelle Ryl. Une tendance observée avec la double licence Intelligence artificielle & Sciences des organisations proposées par l’université Paris Dauphine-PSL depuis trois ans.
« C’est une double licence donc deux fois plus de travail. Il y a plus de 2.500 candidats pour 32 places, avec 50% de filles admises. Quand on fait une licence d’IA, les filles ne s’inscrivent pas et quand on fait une licence deux fois plus difficile parce que c’est de l’IA et autre chose, elles s’inscrivent », pointe la directrice de l’Institut Prairie, précisant qu’il faudra attendre un peu pour voir si ce phénomène perdure.
« On ne sait pas encore pourquoi, mais on peut imaginer que ça a un côté rassurant pour elles, peut-être que si elles n’osent pas se lancer dans l’IA, elles se disent qu’il y a autre chose, que si elles n’y arrivent pas, elles pourront bifurquer », suppose-t-elle.
Face à ce manque de femmes, plusieurs spécialistes incitent à sensibiliser dès l’école primaire. C’est notamment ce que font Simplon et Microsoft. « On a commencé sur les plus jeunes. On a sensibilisé les enfants à la programmation informatique et on veillait déjà à l’époque, il y a presque dix ans, à s’assurer que les enfants puissent choisir un personnage masculin ou féminin quand on faisait les petits modules », indique Céline Corno, directrice du plan de compétences sur l’IA chez Microsoft France, à Tech&Co.
C’est aussi le cas d’Amel: « Quand on nous oriente vers les différentes filières à l’école, ça peut jouer. On peut essayer de changer ce gender gap dès l’éducation, parce qu’une fois qu’on est adulte, on sent que c’est très difficile de faire bouger les choses », déclare-t-elle.
Faire progresser l’égalité des genres
Au-delà des stéréotypes selon lesquels les métiers autour du numérique et de l’IA ne sont pas des métiers de femmes, Céline Corno estime aussi nécessaire de travailler sur les préjugés selon lesquels ces professions sont « plus solitaires ou plus techniques ». « Il faut se dire que travailler dans l’intelligence artificielle, c’est travailler en équipe, c’est travailler sur des projets, c’est mettre de la créativité au service des projets sur lesquels on travaille. C’est comme ça qu’on arrivera à rétablir un petit plus de parité dans ces métiers aussi », assure Céline Corno.
Outre cela, Simplon et Microsoft aident les femmes à se former au numérique et à l’IA, notamment avec le programme GenIAles. Lancé en avril 2024, il vise à leur apprendre à utiliser les IA génératives et à découvrir les métiers du numérique en l’espace de quatre jours. Ayant déjà permis de former 150 femmes demandeuses d’emploi, ils espèrent en former 350 autres d’ici la fin du premier semestre 2025.
C’est l’une des nombreuses initiatives mises en place dans le monde pour faire progresser l’égalité des genres dans le monde de l’IA. L’Unesco a par exemple lancé le programme Women4Ethical AI, qui « soutient les efforts des gouvernements et des entreprises pour garantir une représentation égale des femmes dans la conception, l’utilisation et le déploiement de l’IA ». Mais, le chemin est encore long pour y parvenir.
Source : BFM