Face aux écrans, l’école burkinabè est-elle à la croisée des chemins ?

Priva Belem, spécialiste en éducation aux médias

À l’ère du numérique, l’école burkinabè est confrontée à un défi majeur : comment préparer les jeunes à naviguer dans un monde saturé d’informations, où les fake news et les discours de haine sont partout ? Alors que l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est intégrée aux programmes scolaires de plusieurs pays, elle demeure absente du système éducatif burkinabè. Pourtant, face aux enjeux démocratiques et sociaux, la formation d’une jeunesse critique et éclairée est plus que jamais nécessaire.

Alima a 14 ans et elle habite le quartier Karpala à Ouagadougou. Chaque jour, son smartphone est son meilleur compagnon. Comme beaucoup de ses camarades, elle navigue entre TikTok, Facebook et WhatsApp. Elle partage des vidéos, suit des influenceurs, discute de sujets qui la passionnent. Pourtant, au fil des mois, elle remarque une tendance inquiétante. Les rumeurs se propagent à la vitesse de la lumière, des fausses informations deviennent virales et elle peine à distinguer le vrai du faux.

Un matin en classe de troisième au Lycée Thomas Sankara, son professeur d’histoire pose la question suivante : « Qui peut me dire comment vérifier si une information est vraie ? » Silence. Quelques murmures. Puis une réponse hésitante : « On regarde si beaucoup de gens la partagent ». Le professeur sourit, conscient de l’ampleur du défi. Aujourd’hui, au Burkina Faso, des millions de jeunes comme Alima grandissent dans un monde saturé d’informations sans avoir les clés pour s’y orienter et s’informer sainement.

Un défi majeur pour l’éducation burkinabè

L’école a toujours eu pour mission de former des citoyens éclairés. Mais face à la révolution numérique, cette mission est quelque peu compromise. L’information est omniprésente et accessible en un clic. Elle éduque autant qu’elle peut manipuler. Elle peut inspirer, unir, mais aussi diviser. Selon le rapport de Data Reportal publié en mars 2025, le Burkina Faso compte 5,75 millions d’utilisateurs d’internet sur une population totale estimée à 23,8 millions d’habitants. Parmi eux, 3,40 millions sont actifs sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, comment donner aux jeunes les outils nécessaires pour penser de manière critique, vérifier les sources d’informations et comprendre le rôle des médias dans la société ?

Eduquer aux médias et à l’information ou périr

Dans plusieurs pays, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est une priorité. En Finlande, dès l’école primaire, les élèves apprennent à analyser les contenus médiatiques qu’ils consomment. En France, des programmes sont intégrés au cursus scolaire pour sensibiliser sur les biais des algorithmes et sur les dangers des fausses informations.

Au Burkina Faso, des initiatives existent, mais elles restent plus ou moins isolées ou dispersées. Quelques organisations de la société civile et des organisations non gouvernementales (ONG) comme EducommuniK, Search For Common Ground, Faso Check, l’Association Burkinabè pour la Promotion de l’Education aux Médias et à l’Information (ABPEMIN) mènent un combat noble. Ces structures sensibilisent les élèves et le grand public sur les dangers du discours de haine et sur les pièges de la désinformation. Ces organisations tiennent régulièrment des ateliers de formation sur l’utilisation responsable des réseaux sociaux, la vérification des faits au profit de certaines écoles et mettent en place des clubs EMI pour poursuivre le travail de sensibilisation entre pairs. Mais à l’échelle nationale, l’EMI est encore absente des programmes officiels d’enseignement. Pourtant, les défis sont immenses. Entre montée des discours extrémistes, manipulations, deepfake, cyberharcèlement, l’étau se resserre autour des jeunes burkinabè, premières victimes de ces maux.

Priva Belem en séance de formation

Former des citoyens responsables et critiques

L’intégration de l’EMI dans le système éducatif burkinabè ne serait pas seulement un progrès pédagogique. Ce serait un acte fondateur pour la démocratie et la cohésion sociale. Apprendre à décrypter les médias, c’est comprendre les mécanismes de l’influence, se protéger contre la manipulation, cultiver un regard critique sur le monde.

Pour cela, plusieurs pistes sont possibles. D’abord, il faut former les enseignants. Un professeur qui maîtrise les enjeux du numérique peut mieux guider ses élèves. Ensuite, il est possible d’intégrer des modules d’EMI dans les matières existantes comme le français, la philosophie, l’histoire ou enseigner l’EMI comme matière à part entière. Enfin, il faut multiplier les collaborations avec les organisations de la société, les journalistes, les experts en cybersécurité, les chercheurs pour offrir aux élèves des perspectives diversifiées.

Un avenir à bâtir ensemble

Alima rêve d’un monde où elle pourrait naviguer en toute confiance et sécurité sur internet. Un monde où son école lui apprendrait à décrypter les fake news, à comprendre les rouages de la publicité, à comprendre le processus de production de l’information, à distinguer les faits, les opinions et les rumeurs. Son rêve est à portée de main. Encore faut-il que les autorités en charge de l’éducation prennent ce virage décisif pour ne manquer le rendez-vous avec l’histoire.

En intégrant l’éducation aux médias et à l’information du primaire à l’université, nous donnerons aux futures générations les clés du savoir et de la lucidité. Nous ferons un pas de plus vers un Burkina Faso où l’information n’est plus une menace, mais une force. Il est temps d’agir maintenant.

Priva BELEM

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