Il est 23 heures devant une zone Wi-Fi de la commune de Saaba. À la lumière blafarde des écrans de téléphone, des jeunes sont assis sur des bancs ou des chaises en plastique. Certains somnolent, d’autres tiennent fermement leurs téléphones, tandis que d’autres encore feuillettent nerveusement des pochettes pleines de documents. Leur objectif est simple, mais de plus en plus difficile à atteindre : réussir à s’inscrire au concours de la fonction publique, entièrement digitalisé depuis quelques années. Mais ce qui devait être un progrès technologique s’est transformé, pour beaucoup, en parcours du combattant.
Une plateforme qui flanche sous la pression
Le site officiel www.econcours.gov.bf, censé accueillir chaque année des centaines de milliers de candidatures, est aujourd’hui au cœur des plaintes. Bugs à répétition, lenteurs extrêmes, pages qui ne chargent pas, paiements échoués… la plateforme semble incapable de supporter l’affluence.
Un étudiant en sociologie affirme avoir tenté à quatre reprises sans succès. Une étudiante en histoire confie :
« Je me bats avec le site depuis vendredi. J’ai rempli le formulaire plusieurs fois, mais il disparaît avant la validation. »
Pire, plusieurs candidats affirment avoir payé leurs frais de dépôt sans jamais recevoir de récépissé ni de message de confirmation. Pour eux, ces paiements restent sans trace, ni possibilité de remboursement.
La prolongation du délai d’inscription jusqu’au 4 juin 2025 a été accueillie avec soulagement… mais aussi scepticisme.
« C’est bien, mais ça ne règle pas le fond du problème. On reporte juste la souffrance », estime un candidat rencontré à Saaba.
La digitalisation, un progrès à double tranchant
La digitalisation des concours avait été saluée comme une avancée majeure : suppression des files d’attente, centralisation des dépôts, accès facilité depuis tout le pays. Mais sur le terrain, la fracture numérique est flagrante.
Dans plusieurs quartiers périphériques de Ouagadougou, ou dans les communes rurales, l’accès à Internet reste un luxe. Le réseau est instable, les équipements sont rares. Certains jeunes parcourent plusieurs kilomètres à pied ou à vélo, à la recherche de zones avec une connexion stable.
Les zones Wi-Fi et les secrétariats publics, derniers recours bondés
Face aux difficultés de connexion à domicile, les candidats se ruent vers les rares espaces publics connectés : mairies, secrétariats publics, zones Wi-Fi communautaires. Là aussi, c’est l’embouteillage numérique.
« Je suis arrivée à 20 heures, il y avait déjà 15 personnes connectées. Certains dorment ici pour espérer avoir une meilleure connexion au petit matin », raconte une candidate.
Le stress est palpable. Chaque jour qui passe rapproche de la date limite. Et si le dossier n’est pas déposé à temps, il faudra attendre une année entière.
Les paiements mobiles : une autre barrière
Le paiement des frais de dépôt – 800 F CFA par concours – ne se fait plus en espèces. Seules les transactions via mobile money (Orange Money, Moov Money…) sont acceptées. Mais là aussi, les problèmes abondent.
Nombreux sont ceux qui affirment avoir été débités sans obtenir de reçu. Or, sans ce reçu, l’inscription est nulle.
Un marché noir autour des dépôts
Un phénomène parallèle se développe : le dépôt « assisté ». Des individus ou étudiants à l’aise avec les outils numériques, proposent de faire le dépôt à la place des candidats.
Un informaticien freelance rencontré explique :
« Le dépôt coûte officiellement 800 F CFA. Mais moi, je facture 1 000 F par concours, car je paie la connexion, je gère les bugs, et je garantis le récépissé. »
Cette pratique, bien que pratique pour certains, creuse encore davantage les inégalités. Ceux qui n’ont pas les moyens doivent continuer à lutter seuls contre une plateforme instable.
Un droit fondamental entravé par la technologie
Pour ces milliers de jeunes Burkinabè, ce n’est pas seulement une inscription qu’ils cherchent à accomplir. C’est un droit fondamental : celui d’accéder à un emploi public, de participer à la vie de leur pays.
Mais aujourd’hui, ce droit semble bloqué… par un site web défaillant.
« On ne demande pas un emploi cadeau, on demande juste de pouvoir postuler. Même ça, on nous en empêche », résume Issouf, jeune diplômé en géographie.
ZAGLA