L’intelligence artificielle (IA) s’impose dans le monde musical à une vitesse fulgurante. Du mixage au mastering, en passant par la composition, les outils comme AIVA, Udio ou Boomy redessinent les contours de la création artistique. Mais cette révolution numérique n’est pas sans heurts. La récente décision du Bureau Burkinabè du Droit d’Auteur (BBDA) de rejeter plus de 30 morceaux générés par intelligence artificielle met en lumière un débat brûlant : qu’est-ce que la créativité musicale à l’ère des algorithmes ?
Une affaire qui fait grand bruit
Selon les informations relayées, les œuvres rejetées provenaient d’un même artiste ayant soumis plusieurs titres au BBDA pour enregistrement. Après analyse par le CTIOLA, il est apparu que ces morceaux avaient été produits par un système d’IA. Conclusion : non conformes au cadre juridique actuel, ils ne pouvaient bénéficier d’aucune protection de droit d’auteur.
Cette décision, largement commentée sur les réseaux sociaux, soulève une double interrogation : faut-il considérer une musique générée par IA comme une œuvre originale ? Et si non, quel statut juridique et économique lui attribuer ?
Une créativité « sans auteur » ?
En droit burkinabè, comme dans de nombreux pays, la protection du droit d’auteur repose sur un principe clair : l’œuvre doit être le fruit de l’esprit humain. Or, une musique composée par une IA, même sur la base d’indications données par un utilisateur, interroge sur la part réelle de créativité de ce dernier.
- Si l’algorithme choisit les accords, l’arrangement et les rythmes, peut-on encore parler de création humaine ?
- L’artiste qui « déclenche » le processus est-il auteur, ou simple utilisateur d’un logiciel ?
Le BBDA, en rejetant ces œuvres, prend une position de fermeté : tant que le cadre légal n’a pas évolué, l’IA ne peut pas être reconnue comme créateur.
Une décision qui divise
D’un côté, certains saluent cette rigueur. Elle évite que le marché musical burkinabè soit inondé de morceaux artificiels qui marginaliseraient les musiciens traditionnels et contemporains, déjà confrontés à des défis économiques. C’est aussi une manière de protéger la valeur du travail humain face à une machine capable de produire des dizaines de titres en quelques heures.
De l’autre côté, certains estiment que ce rejet est une occasion manquée. L’IA, bien utilisée, peut devenir un outil de création hybride, où l’artiste reste maître du processus. Plusieurs musiciens à travers le monde explorent déjà cette voie, mêlant sensibilité humaine et puissance algorithmique. Pourquoi le Burkina ne devrait-il pas encadrer plutôt que rejeter ?
Beaucoup se demandent : mais comment le BBDA a-t-il pu déceler que ces chansons n’étaient pas des oeuvres humaines ?
La réponse tient en une combinaison de méthodes : analyse des métadonnées des fichiers audio (qui trahissent parfois l’usage de logiciels comme Boomy ou Mubert), observation des signatures sonores (structures répétitives, mixage trop standardisé, absence de respiration humaine), mais aussi recours à l’expertise d’ingénieurs du son et de musicologues capables de reconnaître ces « empreintes artificielles ».
En clair, il ne s’agit pas d’un logiciel miracle, mais d’un croisement d’indices techniques et humains qui a permis de tirer la sonnette d’alarme
Quelles perspectives pour le Burkina Faso ?
Le rejet des morceaux générés par IA montre l’urgence pour le pays de :
- Ouvrir un débat national sur l’usage de l’IA dans la musique et les arts.
- Adapter le cadre légal afin de définir clairement le statut des œuvres hybrides (créées en partie par l’homme, en partie par l’algorithme).
- Accompagner les artistes dans la compréhension et l’appropriation des outils numériques, pour qu’ils soient un levier et non une menace.
- Anticiper les impacts économiques, car l’IA dans la musique ne va pas disparaître. Au contraire, elle va s’accélérer.
Notre position : ni rejet total, ni acceptation naïve
À mon sens, le BBDA a eu raison d’appliquer strictement la loi actuelle. Mais cette décision doit être le point de départ d’une réflexion plus large. Rejeter l’IA ne l’empêchera pas de s’imposer. Le vrai défi est de poser un cadre clair, qui valorise l’humain tout en reconnaissant le rôle croissant des technologies.
Car au fond, la question n’est pas de savoir si l’IA remplacera la créativité humaine, mais comment les artistes burkinabè peuvent en faire un allié pour enrichir leur musique, explorer de nouveaux horizons et conquérir de nouveaux publics.
L’histoire de la musique au Burkina, profondément enracinée dans les rythmes traditionnels et ouverte aux influences contemporaines, mérite d’être protégée. Mais elle mérite aussi d’être projetée vers l’avenir. L’IA, encadrée et comprise, peut être un de ces leviers.
ZAGLA


