Dans l’ombre du Web africain, une nouvelle génération de pirates informatiques se professionnalise. Entre cybercriminalité, activisme politique et hacking mobile, les hackers africains ne se contentent plus d’arnaques à la petite semaine : ils infiltrent banques, entreprises, et même gouvernements.
Quartier discret d’Abidjan, 22h30. Un jeune homme à la casquette vissée sur la tête pianote nerveusement sur un ordinateur portable…
Il ne travaille pas dans une start-up ni pour une entreprise de cybersécurité. Il est ce qu’on appelle localement un « brouteur », terme ivoirien désignant les cyberarnaqueurs. Ancien étudiant en informatique, il fait partie de cette nouvelle vague de hackers africains : discrets, ingénieux, souvent jeunes, et surtout redoutablement efficaces.
🇳🇬 Nigeria : les “Yahoo Boys”, des cybercriminels au look de stars
Ils sont les plus célèbres — ou les plus redoutés. Les « Yahoo Boys », nom hérité de leurs premières escroqueries via Yahoo Mail, sévissent depuis les années 2000. D’abord spécialisés dans les arnaques sentimentales, ils ont évolué vers des techniques plus complexes : phishing bancaire, vol de données, fraudes aux entreprises (BEC), et même cryptomonnaies.
“C’est devenu une industrie. Certains vivent dans des villas, roulent en Range Rover, et portent des montres très coûteuses,” confie un ancien cybercriminel repenti au Nigeria, aujourd’hui formateur en cybersécurité.
Le phénomène a pris une telle ampleur que la Commission des crimes économiques et financiers nigériane (EFCC) a créé des unités spéciales pour les traquer.
🇰🇪 Kenya : les “SilentCards”, l’élite du piratage bancaire
Moins connus du grand public, les SilentCards sont redoutés des professionnels du secteur bancaire. Ce groupe kenyan opère de façon extrêmement discrète, souvent avec l’aide d’employés complices dans les institutions financières. Leur spécialité ? Détourner des millions de dollars en piratant les systèmes internes des banques et des opérateurs de mobile money.
“Ce ne sont pas des amateurs. Ils savent ce qu’ils font, utilisent des malwares sophistiqués, et couvrent parfaitement leurs traces,” explique un expert en cybersécurité basé à Nairobi.
Afrique de l’Ouest : le nouveau terrain du piratage mobile
Au-delà des banques, un autre terrain est devenu particulièrement juteux : le mobile money. En Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Ghana ou au Mali, des groupes organisés pratiquent le SIM Swapping, une technique consistant à dupliquer une carte SIM pour s’introduire dans les comptes mobile money des victimes.
“Ils visent surtout les petits commerçants ou les fonctionnaires. Une fois dans le téléphone, ils siphonnent les comptes. Et souvent, c’est trop tard quand la victime s’en rend compte,” témoigne un agent de sécurité informatique chez un opérateur mobile à Ouagadougou.
🇲🇦 Maroc, Algérie, Tunisie : entre activisme et piratage
Dans le Maghreb, le hacking a souvent un parfum politique ou idéologique. Le groupe Moroccan Islamic Union-Mail (MIUM) a défiguré des centaines de sites web occidentaux ou israéliens, tandis qu’en Algérie ou en Tunisie, des collectifs de hackers s’attaquent aux sites gouvernementaux pour dénoncer la corruption ou la répression.
Des noms comme DZ Hacker Team ou Tunisian Hackers Team sont devenus légendaires dans l’univers du defacing et du piratage politique.
Des Etats démunis face à des cybercriminels de plus en plus sophistiqués
Malgré l’ampleur du phénomène, la législation dans de nombreux pays africains est en retard. Peu de pays disposent d’une vraie stratégie de cybersécurité nationale ou de forces spécialisées dans la cybercriminalité.
“La plupart des attaques ne sont même pas signalées officiellement. Les entreprises ont honte ou ont peur de perdre la confiance de leurs clients,” déplore un consultant burkinabè en sécurité numérique.
Un danger pour les citoyens, les institutions… et la stabilité régionale
Aujourd’hui, les groupes de hackers africains ne ciblent plus seulement les individus. Ils s’attaquent aux systèmes de santé, aux réseaux de transport, voire aux institutions publiques. Les implications sont graves : risques de paralysie de services essentiels, vols de données sensibles, pertes économiques majeures.
Une urgence de formation et de coopération régionale
Face à cette montée en puissance, des initiatives commencent à voir le jour : formations en cybersécurité, campagnes de sensibilisation, création de CERTs (Computer Emergency Response Teams) dans certains pays comme le Sénégal, le Maroc ou l’Afrique du Sud.
Mais cela reste insuffisant.
“Il faut aller plus loin : introduire la cybersécurité dès le secondaire, investir dans la recherche, former des enquêteurs numériques, et surtout, coopérer à l’échelle du continent,” conclut un expert d’Africert.
L’Afrique est en train de devenir un terrain stratégique dans la guerre mondiale de l’information et de l’argent numérique. Derrière l’image du continent “victime” se cachent des esprits brillants, capables de manipuler les lignes de code comme des scalpels. Mais sans protection adéquate, ces talents risquent de plonger l’Afrique dans une spirale de cyber-chaos… ou de devenir ses meilleurs atouts pour l’avenir.
ZAGLA


